Choc des savoirs… Outil au service du séparatisme et du tri

Avant sa promotion éclair, l’étoile filante Attal aura eu le temps d’annoncer sa réforme « Choc des savoirs » issue de la mission « Exigence des savoirs » menée en 6 petites semaines et sans véritable concertation avec les organisations syndicales. Comme si le scénario était écrit d’avance…

Ce projet vise à aller au bout de la vision réactionnaire de Blanquer, le talent de communicant en plus et le discours ouvertement anti-prof en moins, du moins jusqu’à la nomination de la nouvelle ministre.

C’est la continuité du projet de contre-réforme de la voie pro s’inscrivant dans la logique de libéralisation du marché du travail, assignant la formation des jeunes aux seuls besoins du bassin d’emploi et les élèves à leur classe et à leur lieu de vie. C’est le renforcement du tri social officiel introduit par la réforme Lycée de Blanquer. En instaurant de façon plus précoce la possibilité de redoubler en primaire et en installant des groupes de niveaux au collège, Attal le renforce. La violence de classe de cette politique est ahurissante en plus d’être inefficace pour remédier à la difficulté scolaire. Le but n’est pas la réussite des élèves en difficulté, mais de les séparer des autres pour que les familles de ceux·celles-ci n’aient plus l’impression de voir leur réussite entravée…

L’École Macron/Attal, c’est l’École du séparatisme, entre le public et le privé et désormais entre les élèves selon leur niveau scolaire.

C’est celle du cliché et du « bon sens près de chez vous » démagogique : un·e élève n’a pas réussi son année ? Stage d’été sinon redoublement (du moins menace car le redoublement coûte cher) et ça ira mieux ! Elle·il n’a pas eu son DNB ? Prépa seconde et classe de relégation ! En couplant ces mesures à l’expérimentation de l’uniforme, l’annonce comme chaque année de la généralisation du SNU (encore faut-il trouver les 2 milliards € nécessaires) et l’apprentissage de la Marseillaise, Macron nous repasse le film en noir et blanc d’une École issue d’un passé fantasmé, mais où l’immense majorité des élèves n’allait pas jusqu’au bac.

Et comme toute annonce gouvernementale, tout est bricolé. Les personnels vont devoir se débrouiller pour les appliquer avec les moyens du bord : refonte des programmes de maternelle et du cycle 2, labellisation des manuels en 6 mois, moyens insuffisants (et manque d’enseignant·es de français et de mathématiques) pour la mise en place des groupes de niveaux…

Et que dire d’annonces dont on ne connaît aucune conséquence ? L’épreuve anticipée de mathématiques en 1ère signifie-t-elle la fin de l’enseignement scientifique ou de mathématiques en terminale ? Financement des cours de théâtre au détriment d’autres disciplines ? Quid du doublement des horaires d’EMC?

Renoncer à toute ambition émancipatrice de l’École, c’est tourner le dos à ce qui donne du sens à nos métiers et ne pas améliorer nos conditions de travail. Celles-ci se dégradent du fait du manque de moyens pour faire réussir nos élèves et de la vision idéologique de l’École macroniste du tri social et de la négation de la liberté pédagogique.

Un leurre au service d’une idéologie…

Les mesures annoncées visent, selon le gouvernement, à « réarmer » l’École pour permettre de « relever » le niveau des élèves et leur permettre de mieux réussir. Pour justifier ce Choc des savoirs, G.Attal s’est appuyé sur les résultats aux évaluations PISA, ce qui est un postulat biaisé. Il y a en effet beaucoup à dire sur ces tests au regard de matières et connaissances évaluées, du choix de la méthodologie, de l’absence de contextualisation et surtout de l’analyse qui peut en être faite.

Un leurre pour les enseignant⋅es

Ce n’est pas en répétant à l’envie qu’on va redonner de la liberté et une « autorité » aux enseignant·es que cela se traduira dans les faits. Flatter ne sert à rien si rien de concret ne se produit. Dans les faits, les redoublements ne seront pas plus nombreux, vont viser principalement les classes de CP-CE1 et les compétences dans les fondamentaux, et enfin, les collègues sont bien conscient·es qu’ils ne résolvent pas les difficultés scolaires.

Ce qui est certain néanmoins avec ce Choc, c’est que le ministère va amplifier la mise au pas des enseignant·es. Loin des discours libéraux gouvernementaux prônant la « libération des énergies » et des pratiques innovantes, il va intensifier un resserrage d’étau sur la professionnalité des personnels et leur liberté à construire leur pédagogie. Programmes annualisés construits conjointement par le Conseil scientifique du neuroscientiste Dehaene et par le Conseil supérieur des programmes, progressivité des apprentissages, manuels et pratiques pédagogiques imposés, évaluations nationales généralisées… Tout est fait pour encadrer et dévaloriser une profession. Ce n’est pas ça redonner de la liberté.

Un leurre pour les élèves et les familles

Le président Macron et son gouvernement vendent une École qui retrouvera sa « grandeur » et qui permettra à chaque élève de sortir plus fort·e du système scolaire. Il s’agit d’un mensonge car toutes les mesures avancées vont amplifier le tri scolaire dès le plus jeune âge. Il est faux aussi de faire croire que les élèves seront mieux pris·es en charge en cas de difficultés scolaires. Il faut des actes et des moyens pour cela, pas seulement des rustines sur des dispositifs qui n’ont pas fait leurs preuves comme les activités pédagogiques complémentaires (APC) dans le 1er degré.

Pour lutter contre les difficultés scolaires, il faut immanquablement « réarmer » les RASED, développer au collège le même type d’approche, réduire tous les effectifs par classe, recruter des personnels enseignants titulaires et formés pour mettre fin aux absences non remplacées.

Labellisation des manuels scolaires

Dès la rentrée 2024 certains manuels dont l’efficacité «a été prouvée par la science et par la pratique», seront officiellement labellisés, par un organisme « public ou privé », lui-même labellisé par le MEN.

Cette labellisation concernerait, dans un premier temps, les mathématiques et l’apprentissage de la lecture au primaire (cycle 2). Beaucoup de municipalités ne pouvant fournir de manuels se tourneront sans doute vers les manuels labellisés, seuls à être financés par le ministère. Cela risque d’amener les éditeurs à se plier aux exigences ministérielles pour être labellisés. Quant à celles qui en fournissent déjà, nul doute qu’elles n’hésiteront pas à faire le choix de manuels labellisés s’ils sont financés en partie par l’État.

De toute évidence, le ministère se sert de l’argument fallacieux et pseudo scientifique de « l’efficacité » pour imposer les contenus pédagogiques issus du Conseil scientifique. Pourtant, les enseignant·es sont les plus qualifié·es pour choisir un manuel en fonction des approches pédagogiques qu’ils∙elles souhaitent mettre en œuvre. Cette liberté est précieuse et doit être préservée. Or, le ministère dit compter accorder une « attention particulière » à la réelle utilisation de ces manuels (via des questionnaires, visites de l’Inspection ou fléchage d’animations pédagogiques pour « construire une utilisation commune »…).

Et si le ministère garantit la liberté ne pas utiliser de manuel, c’est en soulignant que l’inspection vérifiera comment sont accompagné·es les élèves… Sans oublier, pour l’administration, de « confronter » les résultats aux évaluations nationales avec l’absence de ces manuels…

Cette labellisation est bien une nouvelle attaque contre la liberté pédagogique et une déqualification du métier.

Une prépa seconde discriminante

Dès la session 2025, le DNB sera modifié. Les épreuves de fin d’année compteront pour 60% de la note finale alors que le contrôle continu ne représentera que 40%. Ce contrôle continu ne sera plus basé sur l’évaluation des compétences mais sur la moyenne des notes obtenues tout au long de l’année.

Les élèves ayant échoué au DNB, qui risquent ainsi d’être plus nombreux·ses, ne pourront pas accéder directement à une seconde, qu’elle soit générale, technologique ou professionnelle.
Hormis celles et ceux affecté·es en CAP, les autres « recalé·es » se retrouveront en classe « prépa seconde », dans leur lycée d’affectation sauf si elles ou ils y sont peu nombreux·ses. Dans ce dernier cas, une prépa seconde serait créée dans un lycée de leur bassin.

S’instaure ainsi la sélection à l’entrée du lycée. Ces élèves suivraient un renforcement des acquis de 3e et une préparation à la seconde. Or, rien n’est clair sur les disciplines car « certains points seront à la liberté des établissements et d’autres seront cadrés nationalement ». Le tout pour 25 à 27 heures d’enseignement hebdomadaire et théoriquement 24 élèves par classe maximum.

Bref, beaucoup de flou et de sous-entendus : comment sera déterminé le passage en seconde, en particulier en cas de réorientation ? Quel programme ? Quelles disciplines ? Avec quels moyens ? Enfin, quelle famille acceptera le dispositif pilote (une prépa seconde par département) à la rentrée 2024 alors que ce n’est pas encore obligatoire ?

C’est bien un dispositif de relégation en attendant d’évacuer une partie de ces élèves vers des filières qu’elles ou ils n’ont pas choisies, et non « une chance » comme le dit le ministère.

Groupes de niveau : le tri dès le collège

Organiser en groupes l’ensemble des heures de français et mathématiques, avec la possibilité de regrouper les élèves dans leur classe entière au maximum 10 semaines par an est une aberration pédagogique et organisationnelle.

Nommer « de besoins » ces groupes est une hypocrisie car les besoins sont, par nature, ponctuels. Il s’agit donc bien d’organiser des groupes de niveau et de s’attaquer des fondements du collège unique.

Cela va à l’encontre de la recherche qui montre que cette différenciation est surtout – et marginalement – bénéfique pour les meilleur·es élèves, et a plutôt un impact négatif sur ceux·celles les plus en difficultés. Ces groupes de niveaux vont aussi supprimer le groupe classe (comme c’est le cas malheureusement au lycée), empêchant le suivi des élèves et mettant à mal l’organisation des projets de classe. Elle va aussi complexifier à outrance les emplois du temps (des élèves et des personnels) avec des mises en barrettes et ouvrir la voie à l’annualisation des services des enseignant·es.

Quant aux moyens annoncés, ils sont bien évidemment insuffisants. Ils nécessiteront de prendre sur les marges des collèges au détriment des autres dispositifs. Pire, on se demande bien où l’Institution compte trouver les enseignant·es (titulaires ou contractuel·les) dans deux disciplines largement déficitaires.

Surtout, ce séparatisme entre « bons élèves » et élèves en difficultés, appliqué dès la rentrée au collège, sera d’une violence inouïe pour ces dernier·ères, possiblement assigné·es pendant 4 années au même groupe de niveau. Même au sein d’un groupe limité à 15 élèves, comment peut-on faire croire qu’elles et ils s’y épanouiront et progresseront, ou qu’ils·elles gagneront en estime d’eux·elles mêmes ?

L’hétérogénéité n’est ni un problème ni un frein aux apprentissages. Elle dynamise les enseignements, développe l’entraide et l’autonomie. Les difficultés scolaires ne se règlent pas à coup de recettes, de fiches ou d’exercices répétitifs. Si l’ambition de l’École est de permettre à tous et toutes de progresser (et selon son rythme), l’École doit abonder les moyens en heures et en personnels formés, pour appliquer une pédagogie de progrès dans des classes aux effectifs réduits.

Avec la CGT Éduc, revendiquons :

  • L’abandon du choc des savoirs
  • la mise en place d’une école émancipatrice pour tou⋅tes les élèves
  • un véritable plan d’urgence pour l’école
  • le recrutement massif de personnels titulaires et formés
  • une revalorisation immédiate et indiciaire de tous les salaires
  • l’abandon de la réforme du lycée pro
  • l’abandon du SNU
  • l’abandon de l’expérimentation de l’uniforme
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