L’apprentissage, mythes et réalités

Apprentissage, mythes et réalités

Objectif 800 000 apprenti·es : pas d’austérité pour l’apprentissage !

A peine atteint le chiffre des 500 000 apprenti·es par perfusion d’argent public et par la transformation d’une partie des contrats de professionnalisation en contrat d’apprentissage, Blanquer et le patron de Veolia, ont annoncé lors de la première université école-entreprise l’objectif d’atteindre 800 000 apprenti·es dans les 5 ans. L’aide de 5000 euros pour une entreprise qui engage un mineur est prolongée jusqu’à juin 2022. Les entreprises de moins de 250 salarié·es reçoivent déjà 4125 € par embauche et bénéficient d’exonération de cotisations patronales. Ainsi, un·e apprenti·e de moins de 20 ans ne coûte rien à l’employeur.

La « loi pour choisir son avenir professionnel », adoptée en septembre 2018, a bouleversé de fond en comble l’organisation de l’apprentissage en France faisant de celui-ci un marché concurrentiel reposant sur la « tarification à l’acte » (coût/contrat). Reprenant l’ensemble des revendications du MEDEF, son pilotage est confiée aux branches professionnelles. Conséquences immédiates : une régression pour les droits des apprenti.es qui s’aligne sur le droit commun du contrat de travail (durée du travail, règles de rupture, licenciement), un floutage des frontières entre les différents statuts (scolaire/apprenti) et une dérégulation des financements de la formation qui se traduit par un sous-financement des lycées professionnels et technologiques (baisse de 23 % à 13 % de la TA).

Plutôt qu’un énième plan de relance de l’apprentissage, la CGT Éduc’action revendique un plan d’urgence pour la voie professionnelle : des moyens pour accueillir tou·tes les jeunes, améliorer les conditions de travail et permettre la réussite des élèves.

La « TVP » cheval de Troie de l’apprentissage !

La « TVP » de Blanquer, s’apparente à une insupportable dévalorisation de la voie professionnelle scolaire : baisse des volumes horaires, déspécialisation des formations et déconsidération des enseignements généraux réduits à une vision utilitariste… L’allègement des grilles horaires, notamment en enseignement général, rend les poursuites d’études en BTS plus difficiles et appauvrit la culture générale. L’insertion professionnelle à l’issue de la scolarité n’est pas davantage garantie. Le ministre affirme que « les élèves formés par apprentissage bénéficient d’une insertion professionnelle plus rapide ». Il veut ouvrir de l’apprentissage dans tous les lycées professionnels, développer le mixage des publics entre élèves et apprenti·es, le mixage des par-cours entre voie scolaire et apprentissage, pour faire de la voie professionnelle un « parcours d’excellence et de réussite ».

Derrière cette attaque contre les lycées professionnels et le service public d’Éducation, ce sont aussi les qualifications et les diplômes, leurs contenus et leur contrôle par l’État qui sont remis en cause et renvoyés aux seules organisations patronales. Il s’agit avant tout d’organiser l’enseigne-ment professionnel pour le mettre exclusivement sous la coupe des branches patronales et au service de l’apprentissage. Pourtant, dans la réalité, l’apprentissage n’est pas plus efficace que la voie scolaire, et il coûte plus cher.

C’est donc bien un choix idéologique, la volonté de donner les pleins pouvoirs au patronat sur la formation professionnelle qui guide cette marche forcée vers le tout apprentissage !

La voie scolaire : l’exigence de la réussite pour tou·tes !

L’apprentissage est souvent présenté comme la solution miracle pour les élèves en difficulté. Il y a un a priori idéologique (le mythe de l’entreprise formatrice) selon lequel le monde de l’entreprise réussirait là où l’école échoue.

1 apprenti·e sur 4 ne termine pas sa formation !

Une note de 2017 de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail) indiquait que le taux de rupture de contrats avant terme s’élevait en moyenne à 29,4 %. Pour les 26 ans et plus, tous métiers confondus, il était de 24 %. En février 2021, le service du gouvernement “Inserjeunes” fait état des mêmes constats : la part des contrats interrompus avant terme est de 30,1 % pour les CAP et de 26,9 % pour les Bacs Pro. Dans le détail des formations, le pourcentage grimpe à 71 % en Bac Pro Esthétique, 57 % en CAP hôtellerie-restauration, 52 % en CAP Vente des produits alimentaires, 37 % en carrosserie.

Une voie discriminatoire reproduisant les inégalités du marché du travail

Le sociologue Gilles Moreau fait le constat que « (…) l’apprentissage accueille toujours aussi peu de filles (30 %) et très peu d’enfants issus de l’immigration. Du coup, c’est le lycée professionnel qui se trouve en charge de former ces deux populations dont on sait combien l’insertion professionnelle est plus difficile. ». Les discriminations à l’embauche se retrouvent à l’entrée en apprentissage. Les écarts de salaires entre femmes et hommes peuvent atteindre 13 % pour les moins de 18 ans.

Une voie dangereuse

Les apprenti·es représentent 50 % des accidents de travail des salarié·es de moins de 20 ans.

L’apprentissage une meilleure voie d’insertion ?

Si 70 % des apprentis obtiennent un emploi dans les 7 mois suivant l’obtention du diplôme, cette donnée ne prend pas en compte le capital autochtonie, le faible nombre de candidats et que près d’1 apprenti sur 4 n’arrive jamais au diplôme, et parmi ceux qui y parviennent, 1 sur 5 en moyenne ne l’obtient pas (RERS, 2020). Ce sont les niveaux post bac qui permettent d’afficher des résultats flatteurs 80 % après un master mais 59 % après un CAP (DEPP 2019). Plus le niveau de diplôme est haut plus l’écart se réduit. A 5 ans les chiffres se renversent au profit des jeunes qui ont eu une formation initiale sous statut scolaire. Le « sur-chômage » des jeunes affecte peu les sortants diplômés de l’enseignement supérieur et les bacheliers technologiques ou professionnels industriels qui, en moins d’un an, connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population. Par contre, la situation des jeunes non diplômés, des titulaires d’un CAP, des bacheliers généraux et des bacheliers technologiques et professionnels tertiaires est très inquiétante.

La voie scolaire : une meilleure réussite à l’examen

DiplômeSous statut scolaireApprentissage
CAP86,5 %84,9 %
Bac pro + BP82,9 % (seul Bac pro)81,6 %
BTS79,7 %74,9 %
Taux de réussite aux examens (source DEPP juillet 2019)

L’apprentissage n’est pas un meilleur mode de formation que la voie scolaire.
L’apprentissage coûte plus cher, est discriminatoire.
Développer l’apprentissage, c’est augmenter les inégalités sociales !

Mixage des parcours et des publics : attention danger !

La voie pro au secours de l’apprentissage : la « mixité » des publics

Depuis des années, le nombre d’apprenti·es stagnait, en dépit de politiques volontaristes des pouvoirs publics. Depuis la mise en place de la loi « liberté de choisir son avenir professionnel », promulguée en septembre 2018, un rebond est constaté avec 188 005 contrats signés en 2018 et 203 000 en 2019 dans le secondaire sur les niveaux CAP et Bac professionnel confondus (source DARES). C’est le sens du développement de la « mixité des parcours », les élèves commencent leur formation sous statut scolaire, et peuvent la terminer en apprentissage. Les Rectorats parlent aussi de « sécurisation des parcours » à travers des classes à public mixte (apprenti·es et élèves), les LP ne sont alors présentés que comme un filet de secours pour les ruptures de contrat d’apprentissage.

Les Rectorats prônent, par ailleurs, « l’utilisation des places vacantes en lycée pour l’accueil d’apprentis », c’est une vision comptable, totalement déconnectée des réalités pédagogiques.

Mixage des publics : menace sur le statut des PLP

En février 2020, le MEN a publié un vadémécum intitulé « La mise en œuvre de l’apprentissage à l’Éducation nationale ». Ce document préconise une extension de la « mixité des parcours » (alternance d’années de formation sous statut scolaire et de périodes en apprentissage) et de la « mixité des publics » (accueil dans une même section de jeunes sous deux statuts). Il veut faire de l’apprentissage une « composante naturelle » des établissements technologiques et professionnels.

La menace est claire pour le statut des PLP. Les obligations réglementaires de services hebdomadaires sont perçues comme un « problème ». Il propose tout simplement de les casser en faisant en sorte que l’on ne distingue pas la quotité de service effectuée en direction d’élèves ou d’apprenti·es, via « un conventionnement à reversement du CFA vers l’État de la partie des salaires correspondante ».

La CGT Éduc’action met en garde contre la mise en œuvre du mixage des publics au sein de la voie professionnelle qui ne peut se faire qu’en annualisant le temps de travail des PLP.

Mixage des publics : un outil de tri social

Dans la logique des « parcours mixtes », la 1ere année est utilisée comme un outil de tri social. Les meilleurs éléments partent en apprentissage, les élèves les plus fragiles restent dans la voie scolaire. Dans les classes mixées, on peut imaginer les rivalités entre les jeunes que peut créer une situation où certaines sont payé·es et d’autres pas.

Mixage des publics : une aberration pédagogique

La logique de « classe mixte » est une aberration pédagogique. Apprenti·es et élèves n’ayant pas les mêmes durées en entreprise, comment l’enseignant·e peut-il/elle construire une progression pédagogique si le groupe classe n’est jamais le même ? Toujours dans le rapport « Comment développer l’apprentissage dans les lycées professionnels », les obstacles pédagogiques à la « mixité des publics » étaient balayés d’un revers de manche. Méprisant le savoir-faire des enseignant·es, le rapport préconise une « professionnalisation des acteurs en termes d’ingénierie pédagogique ».

Le développement à marche forcée de l’apprentissage dans les EPLE, ce n’est pas une « revalorisation de la voie professionnelle » !

La CGT Éduc’action revendique !

La CGT combat cette politique idéologique du tout apprentissage. Elle défend l’enseignement professionnel sous statut scolaire qui est ouvert à toutes et à tous sans aucune discrimination. Elle défend le statut des PLP et refuse l’annualisation.

La formation professionnelle initiale ne doit pas être tournée uniquement vers l’insertion professionnelle immédiate. Elle doit donner accès à une culture générale et une culture professionnelle de qualité, garantie d’une reconnaissance de la qualification et d’une évolution possible sur le long terme. Elle doit offrir, à égalité avec les autres voies, des possibilités de poursuites d’études !

Il faut restituer au service public les moyens supprimés par des années d’austérité pour lui permettre d’accueillir sous statut scolaire tou·tes les jeunes en demande d’une formation diplômante (notamment les apprenti·es qui seront en mal de contrat dès septembre) et de garantir leur réussite ainsi que des conditions de travail satisfaisantes.

Exigeons un plan d’urgence pour la voie pro !

  • Abrogation de la réforme, suppression des dispositifs (chef-d’œuvre, co-intervention et fa-mille de métiers) et restitution des heures disciplinaires ;
  • Réduction des effectifs : 20 élèves par classe en Bac pro et 12 en CAP ; des moyens pour dé-doubler ;
  • Utilisation des heures d’AP pour l’enseignement disciplinaire ;
  • Recrutement massif d’enseignant·es, de personnels de santé et sociaux, d’AED et d’AESH…
  • Titularisation immédiate de tou·tes les contractuel·les sans conditions de concours ni de nationalité ;
  • Réintégration des lycées dans une carte élargie de l’Éducation Prioritaire ;
  • Revalorisation salariale immédiate de 400 €, hausse de la valeur du point d’indice et des grilles indiciaires.

En savoir plus : Lire la brochure de la FERC-CGT :

« Questions sur l’Apprentissage(s) : NI TOTEM NI TABOU »

http://www.ferc-cgt.org/apprentissage

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